Delphine Termignon, présidente du Thau Kite Club (TKC), un club de plus de 400 adhérents actif sur quatre sites de pratique autour de Sète et Frontignan, alerte sur les restrictions croissantes qui menacent l’accès à l’eau pour les sports nautiques. Kitesurf, wingfoil, windsurf : sur l’étang d’Ingril, les pratiquants voient leur espace se réduire drastiquement face à des conflits récurrents avec les pêcheurs. Après deux ans de négociations tendues, le club lance une pétition pour défendre un usage partagé du plan d’eau. Delphine nous expose les enjeux de ce combat, qui fait écho à un problème plus global d’accès aux spots.
Delphine, peux-tu nous présenter brièvement le spot d’Ingril et son importance pour les pratiquants locaux de kite, windsurf et wingfoil ?
Parmi les nombreux étangs héraultais, seuls 3 étangs sont autorisés à nos pratiques : Ingril, Thau et Ponant (ce dernier est interdit aux kitesurfers).
Situé près de Montpellier et très facile d’accès, l’étang d’Ingril est idéal pour apprendre le windsurf, le wingfoil ou le kitesurf : peu profond, sans vague et sans risque de dériver au large. Il est réputé comme un des meilleurs spots de l’Hérault pour la fréquence et la puissance de la Tramontane (vent off-shore). Ces conditions en font aussi un spot très prisé des riders expérimentés (run de vitesse, freestyle). Ainsi, débutants encadrés par des écoles et pratiquants autonomes se côtoient sur ce site historique.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées sur ce plan d’eau aujourd’hui, et pourquoi avoir lancé cette pétition ?
Depuis des années, sporadiquement, il y avait des tensions avec un pêcheur en particulier. Il y a deux ans, il a jeté des pierres et encerclé de filets la mise à l’eau. S’en sont suivis des mois de discussions avec les autorités qui ont fini par aboutir par un arrêté préfectoral et municipal. Celui-ci officialise une zone de navigation avec des horaires pour les pratiquants, mais sans contrainte pour les pêcheurs, hormis de ne pas “entraver” la navigation. Or comme en témoignent les différents états des lieux que nous avons réalisés en drone depuis, la zone a été constamment contrainte par des filets et piquets. À tel point que beaucoup de riders se sont détournés du spot (horaires trop contraignants, zone trop restreinte, dangers que représentent les nombreux piquets). Ce qui a généré un report sur les rares spots qui nous restent, avec les dangers de surfréquentation.
Votre demande vise à créer une zone exclusivement dédiée à la navigation. Comment s’articule-t-elle, et quel serait son périmètre ?
Nous avons bien conscience que la pêche est prioritaire. Elle est déjà présente sur tous les étangs, contrairement à nous. Nous ne demandons qu’un usage de 13% de l’étang d’Ingril sans filet, ni piquet, ni horaire, pour la sécurité de tous et éviter toute tension avec les pêcheurs.
Tu évoques des négociations longues et tendues avec les pêcheurs. Comment se sont déroulés les échanges, et quelles sont aujourd’hui les limites du dialogue ?
Les quelques pêcheurs concernés par cette zone (moins de 5) et leurs représentants (la Prud’homie de la pêche et le Comité Régional des Pêches Maritimes et des Élevages Marins) nous ont expliqué qu’ils devaient pouvoir pêcher là où va le poisson et qu’alimentant la population, ils sont prioritaires sur les loisirs. Ils accusent également les pratiquants d’abimer leurs filets.
De notre côté, nous avons essayé d’expliquer l’enjeu du site dans un département où il y a des milliers de pratiquants qui ont de moins en moins d’accès à l’eau pour naviguer. Que nos activités ont, elles aussi, un impact économique et touristique (écoles, fabricants, shops, riders pro, tourisme) et social (santé, bien-être). Quant à la localisation de la zone, nous sommes contraints par la topographie du site. Et, si les poissons ne sont plus présents que dans la zone de navigation où il y avait autrefois peu de filets, il faudrait peut-être réfléchir à suspendre temporairement la pêche pour permettre à cet étang de jouer son rôle de nurserie. Quant aux accusations de filets endommagés, il est à noter que des plaintes de dégradations de filets ont été déposées par des pêcheurs dans des étangs où nos pratiques sont interdites.
La pétition connaît un certain écho, avec plus de 1 700 signatures en quelques jours. Quels relais ou appuis espères-tu mobiliser pour faire avancer le dossier ?
Nos actions de sensibilisation et de prévention auprès des riders, notre nombre (plus de 400 adhérents), notre ouverture au dialogue auprès des institutions ont montré que nous sommes des interlocuteurs pertinents et constructifs. Le sous-préfet a ainsi été attentif à nos arguments et nous avons pu évoquer ensemble une zone dédiée à la navigation. Malheureusement, il change de poste et sous la pression des pêcheurs, la mairie de Frontignan ne parle que de restreindre le nombre de pratiquants sur l’étang.
Cette pétition a pour objectif de montrer que ce sont des milliers de personnes qui sont impactés directement ou indirectement. Faire prendre conscience aux élus de la ville, du département et de la région que nos sports sont importants et représentent aussi un poids économique et social. Qu’on ne peut pas nous mettre en avant sur les brochures touristiques et en même temps réduire nos sites de pratique !
Plus largement, crains-tu que la situation d’Ingril soit le symptôme d’un problème plus global concernant l’accès à l’eau pour les sports nautiques ?
Partout en France les spots se réduisent ou ferment. Même à Gruissan et à Leucate, les associations doivent œuvrer pour la préservation des sites alors qu’y sont organisés des événements importants pour l’économie locale (Défi Wind, Mondial du vent, Lord of Tram).
Les pressions humaines continuent de croître (urbanisation, tourisme, pollution, surpêche) laissant de moins en moins d’espace à la nature et créant de plus en plus de tensions entre les usagers (pêcheurs, plagistes, plaisanciers…), en particulier sur nos littoraux très prisés.
Dans l’intérêt de tous, il est vital d’arriver à se partager l’espace intelligemment, équitablement et de façon concertée.